Cet épisode est censé être à l’origine de la guerre de Troie. Ce qui m’a frappée durant plusieurs visites de musées est combien cette légende est vivace et a été représentée de façon différente suivant les époques !
L’histoire commence au mariage de Thétis et Pélée sur le mont Pélion. Hélas, la déesse de la discorde, Eris, n’a pas été invitée. Elle se rend quand même au festin, mais y apporte un cadeau singulier : une pomme d’or sur laquelle est inscrit « à la plus belle » qu’elle jette dans le public. Trois déesses se sentent alors candidates idéales, Héra, Athéna et Aphrodite, qui, toutes trois, revendiquent la pomme. Zeus est dans une situation délicate puisque Héra est sa femme, et demande à Hermès de trouver quelqu’un qui puisse les départager. L’arbitre choisi sera Pâris : fils du roi de Troie, il a déjà réglé un conflit de façon équitable, donc paraît égal à la tâche qui l’attend.

Ce tableau représente un scène qui intervient avant le jugement. Il date de 1530 environ, ce qui explique les costumes des personnages masculins! Il est aussi intéressant de constater que les noms des personnages sont en latin, car l’histoire a traversé les siècles. Hermès est donc devenu Mercure (Marcurius), Aphrodite est devenue Vénus, Héra s’appelle Junon, et Athéna, Pallas. On remarque également que chaque déesse peut être identifiée grâce à un attribut: Pour Vénus, c’est un petit Cupidon, pour Pallas, un casque et une lance, et un paon pour Junon. Paris est endormi et rêve des trois déesses, qui semblent être en grande discussion, probablement essayant de vanter leur propres mérites.
Le Rêve de Pâris, entourage de Pieter Coecke Van Aelst vers 1530.Exposé au Louvre.
Il existe plusieurs versions de ce jugement, selon lesquelles chaque déesse aurait offert à Pâris une raison supplémentaire de la choisir : Héra lui promit un empire, Athéna une prouesse guerrière en dehors du commun, et Aphrodite la plus belle femme du monde.
Trois représentations grecques
Ces trois vases sont pratiquement contemporains. Ils sont tous grecs et datent du 6ème siècle avant J.-C.

Le vase n° 1 est exposée au musée des Beaux-Arts à Lyon : Pâris est à droite. Hermès, identifié par son caducée est en train d’expliquer à Pâris qui sont les trois déesses derrière lui et quel va être son rôle.

La deuxième image est celle d’un vase à parfum, exposé au Musée des Beaux-Arts de Lille. La scène est la même que sur l’objet précédent, mais Pâris réagit à l’annonce d’Hermès. En fait, il n’a pas du tout envie de servir d’arbitre ! Il est relativement plus facile d’identifier chaque déesse : Héra est en tête et tient un sceptre, et Athéna, qui clôt la marche tient une lance.

L’amphore dans la troisième image se trouve au musée du Vatican. Là encore, Pâris semble vouloir refuser la tâche qui lui incombe. Les vêtements des trois déesses sont tous différents mais aucun attribut ne permet de les différentier. Il y a une cinquième personne qui suit les déesses que je n’ai pas pu identifier.
Deux représentations romaines
Un camée

Ce camée date du 2ème siècle après Jésus-Christ. Pâris a fait son choix et donne la pomme d’or à Aphrodite. Athéna, casquée, est derrière elle et Héra est en dernier. Pâris porte un bonnet phrygien. Dans l’art grec ce type de coiffure représentait les « non-Grecs » , les Barbares. L’art romain a gardé ce couvre-chef comme symbole des étrangers. Plus tard, on a confondu ce bonnet avec celui porté par les esclaves affranchis et il est devenu symbole de liberté, d’où son adoption pendant la Révolution française.
Une mosaïque

Cette mosaïque du Louvre, à une toute autre échelle, a été trouvée en Turquie et date du 2ème siècle de notre ère. On y retrouve Pâris en train de faire son choix. Sous les yeux d’Hermès, assis au second plan , il examine les trois déesses, Athéna, casquée de nouveau, Aphrodite, en blanc au milieu, surmontée de l’inévitable Eros, et Héra portant une tunique bleue. Elles n’ont pas l’air particulièrement intéressées par l’événement. Pâris est représenté ici en tant que berger avec son chien : en effet les augures à sa naissance avaient prédit qu’il serait la ruine de Troie, donc il avait été exilé (au lieu d’être tué). Il était berger sur le Mont Ida et ne vivait pas à Troie.
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Une représentation syrienne du 2ème ou 3ème siècle

Cette frise se trouve au musée du Louvre et je n’aurais sans doute pas identifié la scène s’il n’y avait eu la légende pour m’alerter. Il s’agit bien du jugement de Pâris, mais sous une forme bien particulière. Ce linteau a été trouvé en Syrie et semble avoir fait partie d’un temple, mais sa fonction n’est pas évidente. Les traditions grecques et la mythologie étaient connues dans le bassin méditerranéen, mais la relation avec un sanctuaire oriental est assez étrange. Tous les personnages sont représentés sur un grand lit, un peu comme dans une scène de banquet, mais il n’y a aucune trace de coupe ou de nourriture. Les personnages sont de gauche à droite : Pâris, Hermès, Aphrodite, Athéna, Héra et Zeus.


Pâris est représenté avec un bonnet phrygien, suivant la tradition. Curieusement, il ne regarde aucun des autres personnages. Il n’y a aucune représentation de la pomme, à moins qu’elle n’ait disparu?
Hermès est reconnaissable à son casque ailé. Il tient son caducée sous le bras gauche. Il n’est pas possible d’identifier ce qu’il tient dans la main droite.


Aphrodite est accompagnée d’ Eros et tient un miroir à la main dans lequel elle peut s’admirer, mais elle est vêtue, même si le drapé souligne ses appâts, plutôt qu’il ne les cache.
Athéna est casquée et tient sans doute une lance , mais celle-ci est brisée.


Héra n’est pas représentée avec son paon comme dans l’art grec, mais tient deux épis de blé, symbole de fertilité, généralement associé à Demeter (Céres). Il se peut que cela soit un glissement vers une croyance orientale en trois déesses dont une serait celle des moissons.
Zeus, très régalien, et barbu, comme il se doit tient l’univers dans sa main : on savait depuis l’ Antiquité que la terre n’était pas plate. Cette représentation n’est pas commune dans l’art grec.
Une représentation de Limoges vers 1500
Cette représentation, dont malheureusement je n’ai pas noté la taille lorsqu’elle a été exposée au Louvre Lens est un émail. Il n’est pas facile de l’interpréter. A première vue, il pourrait s’agir du rêve de Pâris (voir introduction), mais, en fait la pomme a déjà été attribuée à Aphrodite qui se retourne vers ses deux rivales dont l’une la toise et l’autre l’ignore. Curieusement, elles portent une croix autour du cou! Pâris semble être éveillé, mais son expression laisse penser qu’il a fait une grosse bêtise!

Une représentation hollandaise du 16ème siècle

Cette peinture, exposée au Louvre, est datée d’environ 1575 et est attribuée à un peintre flamand, Anthonie Blocklandt van Moonfort. Il s’agit sans doute d’un modèle pour une estampe. Au centre se trouve Pâris qui remet la pomme à Aphrodite, accompagnée d’ Eros et couronnée par une Victoire ailée. les deux déesses évincées n’ont pas l’air d’apprécier le choix de Pâris! (on les reconnait à leurs attributs, un paon et des armes). Hermès, avec son caducée se trouve sous l’arbre, à gauche. Le personnage en bas à gauche est probablement la personnification d’un fleuve comme le suggère l’eau s’écoulant d’un grand vase, un symbole souvent utilisé dans l’art romain.
Une montre anglaise du 17ème siècle

Cette montre a été réalisée à Londres par des émailleurs français, les Frères Huaud, sans doute juste avant 1700. Issus d’un famille huguenote, ils n’étaient pas les bienvenus en France, surtout depuis la révocation de l’Edit de Nantes. La scène se passe avant le jugement : Hermès, toujours avec son caducée, montre la pomme à Pâris et lui explique ce qu’il va devoir faire. Aphrodite est en tête, pratiquement nue, Eros tirant sur le drapé qui recouvre ses charmes, alors qu’Athéna et Héra sont habillées et accompagnées de leurs attributs. Y a-t-il concurrence déloyale? La montre se trouve dans la section Objets d’Art du Louvre.
Une tapisserie des Gobelins

Cette tapisserie des Gobelins, est contemporaine de la montre ci-dessus. Elle représente un tableau de Raphaël maintenant disparu. Paris, sous l’œil d’Hermès, remet la pomme d’or à Aphrodite (avec Eros et Victoire ailée). Furieuse, Héra commence à tancer Pâris d’un geste de la main, alors qu’ Athéna va… se rhabiller , littéralement! Beaucoup d’autres personnages mythologiques sont présents, Zeus avec sa foudre, Hélios sur son char et encore un personnage, en bas, à droite, qui pourrait représenter un fleuve? La tapisserie est exposée à la Manufacture.
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Une représentation chinoise du 18ème siècle

Cette assiette, datée d’environ 1750, a été fabriquée en Chine et est exposée au Musée de la Compagnie des Indes à Lorient . La porcelaine en Europe à cette date en était à ses débuts, et donc de nombreux articles étaient commandés en Chine et les artisans suivaient, parfois avec quelques « ratés », les recommandations des clients. Dans l’ensemble, l’iconographie est assez fidèle, même si le rendu des corps des déesses n’est pas tout à fait du goût européen : Pâris est accompagné de son chien, Héra, à gauche, est suivie de son paon, Athéna, à droite, drapée dans une sorte de toge orange, est casquée, et tient une lance. Aphrodite est au milieu et reçoit la pomme des mains de Pâris. Eros, assis par terre essaye de faire tomber le tissu orange qu’Aphrodite a placé de façon stratégique pour préserver sa décence.
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