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Un mariage idéal?

Une visite à la Plaza de España à Séville au mois d’octobre m’a permis de réviser quelques épisodes de l’histoire du pays, puisque la place toute entière met en scène des tableaux d’événements historiques réalisés en azulejos.

Une des scènes qui a attiré mon attention est celle du mariage d’Isabelle de Castille avec Ferdinand d’Aragon. Ce mariage qui est souvent cité comme étant l’acte fondateur de l’Espagne, s’est en fait passé plus ou moins de façon clandestine et n’avait rien des fastes généralement associés aux mariages princiers.

Ce mariage a eu lieu à Valladolid en 1469 avec une liste d’invités fort restreinte et surtout un parfum d’illégitimité qui présentait un certain nombre de risques pour les époux. Tous deux étaient jeunes à ce moment-là, Isabelle avait 18 ans, Ferdinand en avait 17, et ni l’un ni l’autre n’occupait le trône de leur royaume respectif, loin de là. L’Espagne n’existait pas : la péninsule ibérique venait de passer plusieurs siècles à reconquérir les territoires qui se trouvaient sous la domination d’Al-Andalus, entité politique musulmane. De cette « Reconquista » étaient nés trois royaumes distincts, alliés dans la lutte contre les envahisseurs, mais aussi farouchement attachés à leurs propres droits et souvent rivaux: le Portugal indépendant depuis 1139), la Castille et l’Aragon.

Statue d’Isabelle, Palacio real, Madrid

Isabelle et la Castille

Isabelle est la demi-sœur du roi en place, Henri IV de Castille, son ainé d’une vingtaine d’années. Roi faible, sur lequel plane des doutes : il a une fille de son deuxième mariage, Jeanne, alors que son premier mariage avait été dissous pour non-consommation. Mais il semblerait que cette fille n’est pas de lui (impuissance ou inversion?) et d’ailleurs, elle est surnommée « La Beltraneja » car on la soupçonne d’être la fille d’un certain Bertran…, favori de la reine. Henri IV aurait rédigé un testament en faveur d’Isabelle, ce qui aurait suscité l’intérêt de plusieurs prétendants, dont le roi du Portugal.

Statue de Ferdinand, Palacio real, Madrid

Ferdinand et l’Aragon

Ferdinand est le fils du roi d’Aragon, Jean II d’Aragon, mais il est issu d’un deuxième mariage, donc l’héritier présomptif est son demi-frère ainé, Charles de Viane. Des différends vont opposer Charles à son père et Charles meurt dans des circonstances suspectes en 1461, peut-être empoisonné par la mère de Ferdinand, ce qui déclenche une guerre civile. En 1468, Ferdinand atteint sa majorité et devient roi de Sicile, alors possession aragonaise. En 1469, son père a 60 ans, donc il peut espérer lui succéder dans un avenir relativement proche, mais rien n’est sûr dans un royaume qui manque d’unité.

La mariage n’avait pas reçu de publicité avant sa célébration et pour cause! Le testament qu’avait fait Henri IV en faveur de sa demi- sœur stipulait qu’elle ne pouvait se marier sans le consentement du roi. Or celui-ci penchait vers d’autres prétendants, donc le choix de Ferdinand représentait une trahison. De plus, les deux époux étaient apparentés, cousins au deuxième degré, ce qui rendait leur union impossible aux yeux de l’Eglise, sauf si une dispensation papale était accordée. Curieusement, une dispense papale du pape Pie II, décédé 5 ans plus tôt, a été produite pour la cérémonie : elle laissait le nom du futur mari en blanc… Nul n’a jamais su qui avait été l’auteur de ce document. Le pape Sixte IV, élu en 1471, finira par accorder au couple la dispensation qui rend leur mariage légitime, mais ils n’étaient pas au bout de leur peines pour autant.

Henri IV de Castille, Alcazar de Ségovie

Henri IV, père d’Isabella, décéda en décembre 1474. Les grands de Castille étaient divisés quant à celle qui devrait lui succéder: sa fille, sans doute illégitime ou sa demi-sœur? La Beltraneja avait déjà joué de malchance: par deux fois elle avait été fiancée et à chaque fois, le futur mari était décédé avant que le mariage ne se fasse. Rien n’allait stopper Isabelle. Au sortir de la cérémonie d’enterrement de son père, elle retira la cape noire qui la couvrait, et, vêtue d’un blanc éclatant, se proclama reine devant le public médusé.

Isabelle se proclame reine, Alcazar de Ségovie

C’est alors qu’éclata la guerre de succession de Castille entre les deux camps. Le roi du Portugal épousa la Beltraneja et comptait faire valoir ses droits. D’âpres combats eurent lieu pendant quatre ans sans qu’une victoire décisive n’ait lieu jusqu’à la bataille de Toro, près de Zamora en 1476. Gagnée par les forces de Fernando (même le résultat de cette bataille est maintenant sujet à caution), elle confirma Isabella comme reine de Castille. La Beltraneja, perdante une fois de plus, allait subir une humiliation de plus : son mariage fut dissous par Sixte II pour raison de consanguinité et elle finit ses jours dans un couvent.

La bataille de Toro, Plaza de España, Séville
Salamanca, Plaza Mayor

Un partenariat réussi ?

Dans ce mariage, on avait affaire à deux individus hors classe, animés d’une grande ambition et d’un sens politique aigu : la façon dont ils allaient gérer cette alliance était semée d’embûches, mais a quand même fonctionné. En 1469, ils avaient signé un contrat prénuptial indiquant qu’ils partageraient le pouvoir. Leur devise était « Tanta monto », qui a survécu dans un chanson enfantine espagnole  » tanto monto, monta tanto », Isabel con Ferdinand », c’est à dire « Isabelle et Ferdinand, c’est la même chose ». Le début de cette phrase remonterait à Alexandre le Grand, lorsqu’il avait tranché le nœud gordien. Les emblèmes des deux époux, un joug pour l’Aragon, un faisceau de flèches pour la Castille se retrouvent dans le décor du couvent de San Juan de los Reyes à Tolède, construit pour célébrer la victoire du Toro.

Plaza se España, Séville
plafond, San juan de los Reyes, Tolède
San Juan de los Reyes, Tolède

En janvier 1475, les deux époux signèrent la Concorde de Ségovie : il s’agissait de définir les pouvoirs respectifs des deux souverains dans chaque royaume. Il est probable que Ferdinand se soit attendu à pouvoir régner comme il le voulait sur la Castille, puisqu’ Isabelle n’était qu’une femme! Mais c’était sans compter sur le tempérament de cette dernière qui n’a voulu céder à son consort qu’un rôle mineur. La même répartition des rôles, mais dans l’autre sens, s’est effectuée lorsque Ferdinand est monté sur le trône d’Aragon au décès de son père en 1479.

Salamanca, façade de l’université

La fondation de l’Espagne?

Pour des raisons de commodité, on commence généralement à parler de l’Espagne à partir de cette date de 1479 : il est vrai que les titres respectifs des deux souverains étaient plutôt longs car il fallait y inclure non seulement roi et reine de Castille et d’Aragon, mais aussi de Leon, de Majorque, de Valence, de Sardaigne, de Sicile et de Naples. Dans les faits, les deux royaumes ont conservé leurs lois et leur droits respectifs pendant plusieurs siècles. Effectivement, la centralisation sera due à un Français, Philippe V de Bourbon, qui, digne descendant de Louis XIV, ayant été vainqueur de la Guerre de succession d’Espagne, harmonisera les lois de Castille et d’Aragon entre 1705 et 1716 avec les décrets de Nueva Planta.

La prise de Grenade, azulejo à Tolède

Monument de Christophe Colomb, Madrid

1492 : l’année symbole

L’année 1492 semble être l’apothéose du règne. Tout d’abord la Reconquista s’achève avec la chute de Grenade, le dernier Etat musulman sur le sol ibérique. De plus c’est l’année où Christophe Colomb va découvrir l’Amérique qu’il pense être les Indes et qui va faire la richesse de l’empire espagnol. Mais c’est aussi l’année où Isabelle va signer le décret de l’Alhambra, terrible tragédie qui va condamner des milliers de Juifs à l’exil.

Leurs efforts contre les « infidèles » sera récompensé par le pape qui va leur donner le titre de « Catholique » en 1495. Ironie du sort : le mariage de leur dernière fille, Catherine, à Henri VIII d’Angleterre sera à l’origine de l’Eglise anglicane…

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