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Banda et la noix de muscade. Bénédiction ou malédiction?

De nos jours l’île de Banda aux Moluques ne fait pas partie des « musts » du tourisme et il y a fort à parier que peu de gens seraient en mesure de placer ce petit archipel de 50 km² sur la carte. Et pourtant ce petit archipel indonésien perdu dans la mer de Banda, à plus de 1000 km du nord de L’Australie ou du sud des Philippines a excité toutes les convoitises des siècles durant, et ce pour la simple raison qu’il y poussait des muscadiers.

Les muscadiers (myristica fragrans) sont des arbres d’une dizaine de mètres de hauteur, qui produisent la noix de muscade mais aussi le macis, épice autrefois très utilisée en cuisine. La noix est contenue à l’intérieur du fruit, d’une grosseur d’un abricot. Lorsque le fruit arrive à maturité, la peau épaisse se fend et s’ouvre pour mettre à jour le macis, une enveloppe fibreuse d’un rouge vif qui attire les pigeons locaux (carpophaga concinna). Ceux-ci avalent le macis et excrètent la graine (la noix) permettant ainsi la reproduction et la dissémination des muscadiers. Les îles Banda sont éloignées de tout et de ce fait, la répartition des muscadiers se cantonnait à l’archipel jusqu’à ce que leur transplantation artificielle ne soit effectuée au 18ème siècle. Sur Banda, un avantage supplémentaire à l’exploitation des muscadiers était la présence d’arbres très hauts, appelés kanari en Indonésien (canarium australaricum) qui les protégeaient du soleil.

La muscade a très tôt été appréciée comme épice et a servi de monnaie d’échange aux habitants pour leur permettre de se procurer d’autres denrées : c’est ainsi que de nombreux marchands asiatiques, indiens et arabes, venaient échanger tissus, sagou, riz et porcelaines contre des cargos de muscades. Pendant fort longtemps, les Européens ont ignoré l’existence de ces îles et n’ont pu se procurer les épices que par le biais des relais commerçants qui s’étendaient d’Asie en Europe : le maillon final de la chaîne se trouvant à Venise ou Gênes. Bien évidemment, plus le nombre d’intermédiaires était grand, plus le prix des épices augmentait.

L’essor de l’Islam en Asie et la prise de Constantinople en 1453 par les Turcs a marqué un tournant au détriment des Européens car la route des épices est alors passée complètement sous contrôle musulman, d’où une flambée des prix pour les acheteurs chrétiens. Il devenait donc urgent de trouver la source des épices pour échapper au « racket » des intermédiaires.

Ceci devenait d’autant plus important que les épices étaient alors des denrées de première nécessité. En cuisine, elles permettaient de cacher le mauvais goût de la viande qui était alors conservé dans de l’eau salée, et d’autre part on leur prêtait des vertus thérapeutiques fort nombreuses. Elles étaient aussi utilisées dans des buts moins avouables, tels que la préparation de philtres et autres sorts.

Les Ibériques furent les premiers à se lancer dans la course aux épices. Les Portugais furent les premiers à reconnaître les côtes de l’Afrique, un long parcours qui résulta en 1488 au contournement du Cap de Bonne-espérance. De leur côté les Espagnols partirent vers l’Ouest et le voyage de Christophe Colomb en 1492 remit en question les progrès déjà accomplis par les Portugais. En 1494, les Espagnols et les Portugais, avec la bénédiction du Pape, signèrent un traité à Tordesillas. Ce traité de fait divisait le monde en deux et les terres ainsi partagées étaient données aux deux nations pour être conquises et converties. Les Espagnols héritèrent alors de la route par l’Atlantique et le Pacifique, les Portugais de la route qui contourne l’Afrique et l’Inde.

Forts de leur avance, les Portugais arrivèrent à Malacca en 1511. Malacca était alors un grand centre de commerce sur la côte de l’actuelle Malaisie, aux mains des Musulmans. La prise de Malacca donna aux Portugais la main mise sur tout un réseau commercial important et ils eurent la chance de persuader un pilote malais de les emmener jusqu’aux Moluques. Les Moluques produisaient non seulement les noix de muscade, mais aussi les clous de girofle, qui poussaient sur les îles de Ternate et Tidore.

A partir de ce moment-là, les Portugais réussirent à s’implanter dans un certain nombre d’îles de l’archipel et récoltèrent d’immenses richesses en prenant à leur compte le commerce de ces deux épices.

Parmi les participants de cette expédition de 1511 se trouvait un certain Magellan qui rêvait de retourner aux Moluques. N’ayant pas réussi à obtenir de crédits du roi du Portugal, il alla porter sa proposition au roi d’Espagne, le futur Charles Quint, qui accepta de financer une expédition.

Magellan partit donc de Séville avec 5 navires, mais suivant les termes du traité de Tordesillas dut traverser l’Atlantique et le Pacifique. Ses bateaux furent poussés par les vents vers un autre archipel qui, plus tard, deviendra les Philippines. Magellan en fait mourut dans une escarmouche entre des chefs locaux et seuls deux de ses bateaux rentrèrent en Espagne en empruntant la route des Indes sans se faire arraisonner par les Portugais. Cette expédition prouva que la terre était ronde, mais ne permit pas aux Espagnols de prendre leur place dans le commerce des épices et leur conquête des Philippines vers 1565 ne leur donna jamais de grands bénéfices économiques.

Les Portugais continuèrent donc de venir régulièrement à Banda tandis qu’ils s’installaient dans plusieurs des îles de l’archipel. Leur période de gloire devait pourtant bientôt tirer à sa fin avec l’irruption de nouveaux occupants qui allaient changer la face de Banda dans leur quête des bénéfices liés à la noix de muscade : les Britanniques et les Hollandais.

La présence des Portugais se ressent encore, témoin ce costume cérémoniel dont le modèle est bien évidemment le casque porté par les Portugais au 16ème siècle

Au début du 17ème siècle, les Européens du Nord commencèrent à fonder des sociétés commerciales dont le but était en premier lieu commercial, la conversion des indigènes n’étant pas une de leurs motivations. Les plus importantes sont la East India Company (Londres, 1599) et la Verenigde Oostindische Company plus couramment connue par ses initiales VOC (Amsterdam 1602). Le choc de la rencontre entre les habitants de Banda et ces nouveaux conquérants allait être terrible.

Plusieurs expéditions anglaises et hollandaises eurent lieu entre 1600 et 1619. Les Bandanais regardèrent d’un mauvais œil ces nouveaux arrivants sur lesquels ils avaient entendu de fort mauvais rapports de la part des marchands portugais, chinois, malais ou arabes. Les Hollandais s’installèrent sur l’île principale, Banda Neira, où ils s’employèrent à construire une forteresse. Les Anglais s’installèrent sur les petites îles de Run et Ai, distantes de 10 kilomètres. Aussitôt les hostilités commencèrent entre les Hollandais et les Anglais, chacun essayant de rallier les Bandanais à leur cause. La période fut fertile en combats, trahisons et non-respect des différents documents signés dans des conditions souvent plus que suspectes. L’ile d’Ai fut investie par les Hollandais et les Anglais furent obligés de se cantonner à Run et Neijalakka, un petit promontoire rocheux qui ne produisait pas de muscadiers.

Ai et Run vues de l’île de Banda Neira

Ce fut l’arrivée de Jan Peterzoon Coen en 1619 qui scella le destin de l’île. Sa mission avouée était de s’emparer du commerce des épices afin d’en faire un monopole de la VOC. Il ne s’embarrassait pas de scrupules et pour lui, tous les moyens étaient bons pour arriver à ses fins. Partant de Batavia (de nos jours Jakarta) il débarqua avec une flotte de 13 navires sur lesquels se trouvaient 1650 Européens, 300 prisonniers javanais et une centaine de mercenaires japonais. La garnison en place comptait environ 250 hommes. La population de l’archipel devait être de l’ordre de 15000. Le rapport de force était très inégal, car les Hollandais disposaient de canons et d’armes à feu. Dans les semaines qui suivirent, plusieurs attaques particulièrement violentes sur différents villages prirent place au cours desquelles la population terrorisée essaya de s’enfuir mais beaucoup périrent. Des semblants de négociations furent entrepris avec les orang kaya qui furent convoqués au Fort Nassau. Là, ils furent piégés à l’intérieur d’une palissade de bambou où les attendaient des mercenaires japonais qui les décapitèrent et les mirent en quartiers. Cet épisode valut à J.P. Coen le surnom de « boucher de Banda ».

Le musée de Banda comporte une série de tableaux retraçant l’histoire de Banda y compris le massacre des orang kaya sur les ordres de J.P. Coen.

Il fallut alors retrouver de la main d’œuvre car la population avait baissé de façon alarmante (on estime que de 15000 elle était passée à 600) et de nombreuses expéditions furent menées dans les îles avoisinantes (Philippines, Nouvelle-Guinée, Célèbes etc.) pour trouver des esclaves qui puissent s’occuper des plantations. JP Coen recruta aussi à Batavia des planteurs hollandais, les perkeniers qui signèrent un contrat avec la VOC pour l’exploitation des muscadiers. La rédaction de ces contrats était en fait assez ambiguë et allait poser problème à un stade ultérieur.

Afin d’établir leur monopole du commerce des épices, les Hollandais prirent toute une série de mesures draconiennes : afin d’empêcher les noix de muscade envoyées en Europe de germer, on les chauffait. Seuls les perkeniers avaient le droit d’avoir des plantations et toute découverte de muscadiers illicites résultait en leur destruction. L’île de Run, par exemple, fut systématiquement défrichée de ses plantations afin de décourager les Anglais (ceux-ci finirent en 1667 par échanger Run contre Manhattan, alors sous contrôle hollandais sous le nom de Nouvelle-Amsterdam). Des expéditions punitives, les hongi, étaient montées afin de supprimer toutes les infractions et brûler les marchandises de contrebande. Seuls les pigeons locaux se moquaient des instructions données par les Hollandais et continuaient de disséminer les précieuses graines.

Le fort Belgica sur l’île de Banda Neira est le seul qui ait été restauré et qui donne une idée de la structure de ces constructions. Les autres forts sont en ruine et envahis par la végétation tropicale.

Petit à petit la vie s’organisa sur Banda à l’ombre de la VOC. La population consistait alors d’un mélange de soldats, de planteurs, souvent des aventuriers qui avaient échoué là pour échapper à la justice, et d’esclaves d’origine diverses. Assez rapidement la cohabitation entre les deux communautés produisit un groupe métissé hybride. En principe les perkeniers devaient obtenir la permission du gouverneur avant de se marier et ne devaient épouser que des chrétiennes. En pratique, de nombreuses esclaves devinrent des épouses légitimes a posteriori grâce à un baptême rapide à la naissance des enfants ! Très peu de femmes hollandaises venaient s’installer à Banda. De temps en temps la VOC affrétait un navire sur lequel elle mettait un grand nombre de femmes à envoyer aux Indes Orientales. Ces femmes étaient trouvées dans les prisons et les orphelinats, et expédiées de gré ou de force vers leur nouvelle vie. Le problème pour les perkeniers était le fait que Banda se trouvait être le dernier arrêt de ces navires et que les femmes qui n’avaient pas encore trouvé preneur n’étaient pas les plus favorisées par la Nature. De nombreux courriers à ce sujet furent envoyés à Amsterdam, mais en vain. A titre d’exemple en 1638, la population fut recensée comme suit

  • fonctionnaires de la VOC, civils ou militaires _ 351
  • femmes européennes _ 20
  • enfants européens ou métis _ 77
  • Bandanais d’origine (hommes, femmes enfants) _ 560
  • Autres (principalement des esclaves et qqes. Chinois) _ 2743

Maisons coloniales, église et palais du gouverneur Le tracé des rues est resté très semblable à ce qu’il était à l’époque où y séjournaient les Hollandais. Les maisons ont souvent été reconstruites à l’identique après les éruptions et autres catastrophes naturelles.

La vie sur l’île de Banda pour ces expatriés offraient quelques compensations, sur le plan financier. Les maisons qui subsistent sur l’île le montrent bien : construites en dur, il a fallu que les matériaux soient acheminés à partir d’Europe car pierres, tuiles et marbre ne pouvaient être trouvées sur place. Cela dit, bien peu de Hollandais réussissaient à retourner chez eux pour savourer leur retraite. Outre les périls du voyage par mer, il fallait déjà qu’ils survivent aux conditions souvent fort rudes de la vie dans les îles. Il existait toujours la possibilité d’une révolte d’esclaves ou d’un procès vite expédié (les bourreaux ne chômaient guère) après une dénonciation d’un rival jaloux. Le climat était difficile à supporter, la médecine fort primitive, les connaissances sur le plan pharmaceutique des plus sommaires. Les deux remèdes souverains semblent avoir été le tabac et l’alcool. Curieusement les concoctions à base de noix de muscade qui faisaient office de panacée en Europe n’entraient pas dans la pharmacopée locale.

Les catastrophes naturelles s’ajoutaient aux épreuves déjà mentionnées. Le volcan Gunung Api qui est toujours actif entrait souvent en éruption, projetant des matières incandescentes dans les plantations et causant des incendies destructeurs. Des nuages de gaz toxique se répandaient à Neira et Lonthor. Les tremblements de terre et les raz de marée étaient monnaie courante et l’apparition de ces cataclysmes causait souvent des épidémies meurtrières.

Gunung Api. L’appellation Gunung Api veut dire littéralement « montagne de feu » en indonésien et sert de terme générique pour un volcan.

De plus, au fil des ans, le commerce des épices se révéla peu rentable pour les perkeniers s’ils se tenaient aux termes de leurs contrats avec la VOC. La contrebande sembla être alors la seule façon dont ils pouvaient espérer tirer assez de bénéfices de leurs exploitations : muscades mais aussi d’autres denrées abondantes aux Moluques et appréciées par les Européens ou les Chinois (oiseaux de paradis, concombres de mer, ailerons de requin etc.) De plus, un Français au nom prédestiné, Pierre Poivre, réussit à se procurer des plants de girofliers et de muscadiers et à les faire pousser à la Réunion et à l’Ile Maurice. De toute façon la demande des épices se raréfiait en Europe car l’introduction de plusieurs plantes fourragères (betterave, maïs) permettait de ne pas avoir à abattre le bétail chaque automne. Il n’y avait donc plus besoin de conserver la viande dans l’eau salée.

Tout ceci rendit bientôt la position de la VOC sur l’île intenable et en 1799, la Compagnie fit faillite. Les Indes Orientales devinrent alors colonie hollandaise. Un chapitre qui avait duré presque deux siècles venait de se fermer.

Les événements en Europe devaient aussi influencer l’archipel lointain. Dès 1796, les armées révolutionnaires françaises avaient envahi la Hollande. Son prince s’était réfugié en Angleterre et avait demandé aux Anglais d’empêcher que les îles ne tombent aux mains des Français. Les Anglais ne s’étaient pas fait prier pour investir Banda ce qui leur permit de mettre la main sur de jeunes muscadiers et de les transplanter vers certaines de leurs possessions telles Sri Lanka ou Bencoolen à Sumatra. Banda fut rendue aux Hollandais en 1803, puis de nouveau reprise par les Anglais en 1811 qui y restèrent jusqu’en 1817. Leur seconde intervention prit également place à Java où un jeune gouverneur du nom de Stamford Raffles entreprit de nombreuses réformes du système politique et commercial.

Ce même Raffles désirait à tout prix trouver une base pour la East India Company en Asie du Sud-est et son choix se porta sur une petite île au sud de la Malaisie, Singapour, où il signa un traité avec un des sultans locaux. Cet accord ne fut pas du goût des Hollandais et il fallut attendre 1824 pour que soit signé un autre traité, cette fois ci entre les Britanniques et les Hollandais qui déterminait leurs sphères d’influence respectives. C’est à cause de ce traité que la Malaisie est passée sous contrôle britannique et que l’île de Bornéo a été divisée en deux.

Lorsque les Hollandais se réinstallèrent à Banda, ils durent remettre en place une nouvelle administration. Ils jouèrent de malchance car plusieurs tremblements de terre causèrent d’énormes dégâts et la question du statut des perkeniers n’était toujours pas résolue de façon satisfaisante. Au cours du 19ème siècle, de nombreux changements furent opérés, notamment l’affranchissement des esclaves en 1860 et l’abolition du monopole en 1864.

Aucune de ces mesures ne réussit à résoudre les problèmes : les perkeniers s’impliquaient toujours dans la contrebande tout en jurant leurs grands dieux qu’ils ne pouvaient survivre en respectant les contraintes imposées par le gouvernement hollandais qui avait succédé à la VOC. L’abolition de l’esclavage fut accompagnée de l’importation de prisonniers et personnages peu recommandables recrutés pour l’exploitation des plantations. La production augmenta légèrement mais la fin du monopole, bien que libérant les prix, ne fut pas favorable aux perkeniers qui n’avaient pas d’infrastructure en place pour écouler leur marchandise sur d’autre marchés que ceux qu’ils connaissaient déjà. Beaucoup d’entre eux s’endettèrent et firent faillite.

Inquiets de la situation, les autorités hollandaises conduisirent plusieurs enquêtes sur les conditions dans l’île et parvinrent à la conclusion qu’elle ne méritait plus l’importance qu’on lui avait accordé autrefois. En 1866, Banda passa du rang de « résidence » au rang de « sous-résidence ». On n’y nomma plus qu’un « contrôleur » au lieu d’un gouverneur et celui-ci devait référer toutes ses décisions au gouverneur maintenant en place à Ambon, à un jour de bateau. Fonctionnaires et perkeniers quittèrent Banda en masse et celle-ci redevint une petite ile tropicale semblable à beaucoup d’autres.

En fait Banda fut choisie à cause de son éloignement comme lieu de résidence pour deux activistes anti-hollandais. Le mouvement anticolonialiste a commencé à prendre une dimension nationaliste vers le début du 20ème siècle. Plusieurs des leaders furent emprisonnés par les Hollandais, certains d’entre eux furent envoyés dans des camps en Nouvelle Guinée. Les conditions y étant insalubres, les Hollandais décidèrent de transférer deux d’entre eux sur l’île de Banda où ils seraient assignés à résidence. C’est ainsi qu’en 1936 Mohammed Hatta et Sutan Sjahrir arrivèrent à Banda Neira. Durant leur séjour ils se lièrent avec les enfants de plusieurs familles locales et entreprirent de leur donner une éducation.

La maison où a séjourné Mohammed Hatta a été transformée en musée, et la terrasse qui a servi d’école a été préservée telle quelle.

En 1942 les Japonais attaquèrent Ambon et les deux exilés, accompagnés de certains de ces enfants, furent ramenés à Java in extremis avant que les Japonais ne bombardent Banda. L’occupation japonaise réduisit de nouveau les Bandanais à une vie misérable : incapables de continuer leur commerce et trocs traditionnels, ils durent abattre un grand nombre de muscadiers pour pouvoir planter du manioc afin de survivre.

Quelques jours après la reddition des Japonais, le 17 août 1945, Sukarno et Mohammed Hatta proclamèrent l’indépendance de l’Indonésie, et en devinrent président et vice-président respectivement. Sutan Sjahir occupa le poste de premier ministre peu de temps après. La montée au pouvoir de ces deux hommes n’a pourtant rien apporté de spécial à Banda. La période post–coloniale, confuse en Indonésie, vit même les habitants des Moluques se ranger parfois du côté hollandais contre la nouvelle république indonésienne, un comble quand on se rappelle les traitements subis aux mains des Hollandais.

Le legs le plus important de la période coloniale est la définition des frontières de l’Indonésie moderne qui reprend les anciennes frontières des possessions hollandaises résultant de traité avec les Britanniques et les Portugais (division de Timor en 1859). Sur cette photo les deux personnages représentant lisant la proclamation d’indépendance sont Sukarno et Mohammed Hatta.

Un des enfants « adoptés » par les deux politiciens est maintenant une des figures les plus importantes à Banda. Des Alwi a beaucoup œuvré pour faire connaître son île et a développé le tourisme. Plusieurs bateaux de croisière ont mis Banda sur leurs itinéraires et une école de plongée s’est même ouverte pur profiter des massifs coralliens qui entourent l’archipel. Plusieurs bâtiments coloniaux ont été restaurés et une des maisons ayant appartenu à une puissante famille chinoise a été transformée en musée.

Malheureusement, ce regain a été de courte durée. Des troubles interreligieux ont éclaté vers la fin des années 90 et plusieurs attentats ont été commis aux Moluques, en particulier à Ambon. Plusieurs réfugiés sont venus s’installer à Banda. Le climat politique étant incertain, les compagnies de voyages ont maintenant délaissé pour la plupart Banda et le tourisme y est au point mort.

Le microclimat qui règne à Banda est toujours favorable à la culture de la noix de muscade, et elles y sont toujours exploitées. Gunung Api entre encore en éruption, la dernière en date étant en 1988. Les Japonais ont installé une ferme perlière car les eaux autour de Banda sont propices à l’élevage des huîtres, mais on est bien loin de l’agitation qui a régné pendant des siècles. Sans la noix de muscade, Banda serait restée une île perdue. Les circonstances ont voulu qu’elle remplisse les conditions idéales pour qu’y poussent ces arbres. Le goût de l’aventure et la convoitise humaine ont fait le reste pour changer à jamais le destin des habitants.

Bibliographie

Les livres cités sont en anglais et n’ont pas, à ma connaissance, été traduits en français.

Yayasan Warisan dan BudayaBanda Naira 1981

Indonesian Banda

Hanna, Willard

Yayasan Warisan dan BudayaBanda Naira 1981
Periplus Editions 1990

Spice Islands, The Moluccas

Muller, Dr. Kal

Periplus Editions 1990
Grange Books 1992

The Lore of Spices

Swahn, J.O

Grange Books 1992
Thoth Publishers 2002

The colourful world of the VOC

Akveld, Leo

Thoth Publishers 2002
OUP Singapore 1989

The Malay archipelago

Wallace, Alfred Russell

OUP Singapore 1989

Les Moluques font maintenant partie de l’Indonésie. Ce sont cependant des îles qui forment un « pont » entre l’Asie continentale et l’Australie, ce qui est évident lorsque l’on en considère la flore et la faune. Plusieurs des langues parlées aux Moluques sont apparentées aux langues papoues et le physique de certains des habitants montre bien qu’il reste encore des traces importantes de ces habitants originels de l’archipel. Sur cet héritage papou s’est greffée une autre tradition, austronésienne, qui a dû s’infiltrer aux environs de 2000 avant J.C. Cette culture se retrouve dans la plus grande partie de l’Indonésie et de la Malaisie actuelles et quelques minorités au Vietnam.

Lorsque les premiers Européens sont apparus aux Moluques, il n’existait pas d’état centralisé à proprement parler. Plusieurs groupes cohabitaient dans ces îles sous la gouvernance de notables appelés « orang kaya », ce qui signifie « hommes riches ». Ces groupements étaient assez fluides et combattaient souvent entre eux. De nombreuses sociétés austronésiennes pratiquaient la chasse aux têtes.

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